MON BEBE S'ENERVE AU SEIN ET NE GROSSIT PAS BEAUCOUP...
Mother and child, Paul Klee, 1938
La maman d'un bébé de 5 mois nous appelle au sujet de deux préoccupations.
D'abord elle s'inquiète du déroulement de certaines tétées qui "se passent mal" (d’autres en revanche se passent « bien » heureusement). Les tétées désagréables semblent avoir lieu plutôt dans le courant de l’après-midi. Le bébé tète 1 ou 2 minutes en déglutissant, puis se met à tirer sur le sein, le lâche, pleure, s'énerve, voire se met franchement en colère. Lors de ces tétées, le bébé semble fatigué, cherche son pouce qu'il a l'habitude de téter. La maman est désarmée et ne sait pas vraiment comment satisfaire sa fille : elle la prend dans ses bras, verticalement, pour qu'elle se libère parfois d'un rot, lui propose l'autre sein mais le bébé s'énerve à nouveau. Ce comportement dure depuis plusieurs semaines.
L'autre problème auquel est confrontée cette maman est qu'à la dernière visite à la PMI on lui a annoncé que son bébé n'avait pris que 400g en 2 mois. La petite se porte malgré tout parfaitement bien, elle a beaucoup grandit et la croissance de son périmètre crânien est très satisfaisante au regard des courbes. Son développement psychomoteur est également tout à fait satisfaisant. Concernant les urines et les selles, tout semble aller bien, les couches sont bien garnies. Dernier point important, la maman prend un traitement médicamenteux (dont le dosage est adapté à la période d’allaitement et qui ne semble pas porter préjudice à la production de lait) pour lutter contre une recto-colite hémorragique. Dernièrement, à l’occasion d’une semaine de vacances, elle a suspendu son traitement et s’est rendue compte que toutes les tétées se passaient sans désagrément pour le bébé. Était-ce dû à l’arrêt du médicament ? Au bénéfice relaxant des vacances ?…
A première vue, quand un bébé s’énerve au sein de cette façon, et qu’en plus sa courbe de poids est faible, on a tendance à supposer qu'il traverse une période de croissance qui explique son insatisfaction : ses besoins ont augmenté et le lait ne vient pas en assez grande quantité et/ou assez vite.
D’une façon générale, un bébé qui s’énerve au sein peut le faire pour plusieurs raisons très différentes :
- il a de la difficulté à « attraper » le sein (essentiellement le cas de certains nouveaux nés, mais aussi de bébés plus âgés dont la succion est confuse) et s’agite sans stimuler efficacement les seins…
- il est fatigué et le fait qu’on lui présente le sein l’agace car ce n’est pas la réponse à son besoin du moment…
- il veut téter mais sans boire trop de lait et/ou il est gêné par un réflexe d’éjection trop fort (REF), et se recule, le sein en bouche, pour limiter le débit…
- il veut téter mais pour recevoir davantage de lait et tire sur le sein car le débit est insuffisant : c'est le cas lors d’une poussée de croissance, ou bien lorsque le bébé a perfectionné sa technique de succion et s’impatiente…
- il est enrhumé et/ou présente des signes de poussée dentaire ce qui l’amène à accentuer la pression et/ou l’étirement du sein pour se soulager…
Le mécontentement de ce bébé dure depuis plusieurs semaines et ce comportement coïncide avec la période de ralentissement de la courbe de poids. On peut noter aussi que le bébé suce son pouce et ne réclame pas de tétée la nuit : la maman met sa fille au sein juste avant de se coucher et la petite ne tète que sur le matin. Les seins ne sont donc pas stimulés la nuit, ce qui pourrait faire penser que la lactation de cette maman en pâtit. Cependant les bébés qui ne tètent pas la nuit n'ont pas forcément une faible prise de poids. Enfin, la maman a découvert qu’une incisive commençait à sortir, pouvant justifier éventuellement une gêne douloureuse pour son bébé, et donc des tétées agitées.
Le lendemain de cet appel, la maman a rencontré, à l’occasion d’un rendez-vous chez le pédiatre à l’hôpital, une infirmière spécialisée dans l’allaitement qui a formulé l’hypothèse d’une succion incorrecte du bébé et qui lui a vivement recommandé de prendre conseil auprès d’une consultante en lactation pour vérifier la qualité de la succion. Ce point est effectivement essentiel pour s’assurer que le transfert de lait s’effectue correctement. Cette infirmière lui a signalé au passage d’introduire des purées de légumes si le poids continuait de stagner.
Parallèlement à cela, la maman a suivi notre conseil de mettre son bébé au sein très souvent et de pratiquer l’hyper alternance pendant la tétée (faire téter le premier sein, passer à l’autre dès que le bébé a fini de déglutir et s’énerve, revenir au premier, repassez à l’autre ensuite, etc). Ces tétées fréquentes ont eu pour conséquence une augmentation de la quantité de lait, la maman percevant également à nouveau le réflexe d’éjection du lait à chaque tétée. Sur ce point, une précision très importante : le fait de ne pas sentir le réflexe d’éjection ne signale pas forcément une production de lait défaillante, certaines femmes vont continuer de le ressentir souvent et pendant longtemps, pour d’autres cela cessera par période ou complètement sans que cela signale une baisse de lait, chaque corps féminin réagissant différemment.
Cette maman est vivement déterminée à poursuivre son allaitement mais la prise de poids qui se ralentit et le comportement de son bébé pendant la tétée tendent à créer un climat d’anxiété d’autant plus défavorable que la maladie pour laquelle elle est soignée est étroitement liée au niveau de stress qu’elle peut ressentir… cercle vicieux en somme… La recommandation de l’infirmière de donner des purées de légumes afin de faire prendre du poids au bébé ne tient pas compte du fait que les légumes ont un apport calorique faible et un intérêt nutritif inférieur à celui du lait maternel. Il semblerait plus juste, compte tenu de tous les facteurs de cette situation (fort désir de poursuivre l’allaitement, nocivité du stress, bilan de santé général du bébé favorable) de proposer un soutien et un accompagnement réguliers à cette maman en lui donnant les moyens d’optimiser sa production de lait, tout en s’assurant que le bébé reste en bonne santé même si son poids ne s’inscrit pas dans les sacro-sainte normes…
A suivre…