SEINS,SEXE ET TETEES

Aline Mori

Couple, pierre noire sur papier, 1988

L'allaitement s'inscrit au cœur de "l'impossible partage" ¹ du sein, à la fois maternel et érotique. Pourtant, au nom de ce partage du féminin et du maternel, des discours médicaux désormais révolus interdisaient les relations sexuelles au motif qu'une bonne mère doit être sans désir et affirmaient aussi que faire l'amour faisait tourner le lait…

Au delà de ces croyances sans fondement, qu'en est-il aujourd'hui de la sexualité de la femme qui allaite ?

Après l'accouchement, de nombreuses femmes constatent une nette baisse de leur libido, qu'elles allaitent ou pas. D'autres en revanche ont une forte libido pendant la grossesse et l'allaitement. Cette période de latence, qui varie considérablement d'une femme à l'autre, est liée à plusieurs choses.

Outre le fait que la mère est naturellement centrée sur son bébé, le niveau d'entente dans le couple avant la naissance, la façon dont s'est déroulé la grossesse et l'accouchement ont leur importance. Une épisiotomie peut être douloureuse pendant longtemps et accentuer ainsi le désintérêt pour les rapports sexuels. Certaines femmes ressentent une sécheresse vaginale (en partie dûe au taux d'oestrogènes bas) qui ne facilite pas non plus les choses. Les caresses érotiques ou l'application d'un gel auront raison de ce désagrément. Par ailleurs, la sensibilité des seins peut être telle que la femme ne supporte pas les caresses ; parfois, c'est l'homme qui n'ose pas ou n'aime toucher les seins de sa compagne.

Du côté des hormones d'allaitement, la prolactine et l'ocytocine aident à se relaxer : pour certaines, les effets euphorisants de la tétée sont d'un grand bénéfice pour les tête-à-tête amoureux.

L'image du corps a aussi une importance significative. Certaines se sentent plus féminines, d'autres ne sont pas bien dans leur corps. Prendre soin de soi et s'aménager du temps libre amène peu à peu à se retrouver ainsi qu'avec son conjoint.

Par ailleurs, l'image du couple idéal véhiculée par les médias est parfois pesante : l'entente sexuelle est souvent présentée comme primordiale et il faudrait après la naissance d'un enfant se dépêcher de reconstituer le couple "d'avant"… Mais la mère, après avoir "subi" son bébé toute la journée, n'a parfois plus l'énergie d'apprécier les contacts physiques avec son mari - surtout si ce dernier ne pense qu'aux rapports sexuels et non aux manifestations de tendresse qu'elle souhaiterait éventuellement - et se culpabilise car la survie du couple semble dépendre d'elle… Le père, quand à lui, a parfois du mal à se positionner (suis-je le papa, l'amant ?) car il a perdu sa relation privilégiée avec sa femme et ne sait pas comment construire avec le bébé une relation aussi forte que celle qu'il voit pendant l'allaitement… Aussi, la mère aura-t-elle tout intérêt à laisser des espaces d'échange entre le père et son bébé. L'aider à trouver sa place ce peut être aussi lui suggérer d'être prise dans les bras pendant la tétée : un moment de bonheur à trois qui pourra finir ensuite plus que tendrement à deux !

Bien que la naissance d'un bébé transforme le couple d'amants en couple de parents, chacun pourra trouver des aménagements grâce au dialogue et au respect mutuel, et préserver ainsi des relations de qualités.

1 Hélène Parat,
"L'érotique maternelle", Dunod